Témoignage

 

Pendant trois jours je me suis tourné dans la bonne direction. J’ai participé à un stage, une sorte de yoga pour personnes âgées : minimaliste, tout entier consacré à entrer dans le toucher intérieur de la merveille que nous sommes, au plus intime de notre corps; une autre forme de démarche scientifique où à l’extérieur rien ne se produit, ou plutôt, où tout ce qui se produit est regardé sans que cela conduise à réagir, tirer des conclusions, évaluer. Tout ce qui se produit est regardé gratuitement, accueilli, constaté avec bienveillance. Ici tout est à sa place, gratuit et parfait. Nous tentons juste de le voir.

Pour cela nous nous posons en silence, assis le plus souvent, car pour durer c’est moins fatiguant, mais nous sommes dressé verticalement comme des guetteurs, comme des antennes. Ce qui nous intéresse n’est pas la salle où les voisins, c’est notre ressenti. Ce qui s’impose immédiatement à notre perception grossière c’est notre respiration. Elle ne laisse aucun répit à notre corps entier. On a l’intention de s’asseoir calmement mais nous ne sommes pas un lac tranquille. Notre respiration met à jour un champ de bataille, une sorte de lutte entre une expiration qui ne lâche rien et une inspiration en urgence. Tout cela est usant. Qui combat contre qui? Très vite nous constatons que notre mental voyage comme un chien sans laisse. C’est très intéressant de se prendre la main dans le sac et de ramener doucement ce mental à la présence à ce corps en mouvement. C’est une surprise, bien que cela puisse prendre des années, de constater cette dispersion, cette errance et cette dureté envers nous-mêmes. Tout le monde est fou dans cette maison. Le mental est rarement là; quand il est là il prend le contrôle à mauvais escient; à l’intérieur on est malmené et c’est une jungle que nous abandonnons à son sort car notre attention est fasciné par la frénésie du caniche.

Cet état des lieux se révèle progressivement, en particulier quand quelqu’un ne ricoche pas sur votre énervement. Vous êtes en mer dans la tempête et subitement vous entendez une voix qui parle avec mesure depuis le silence d’un port,une voix etunregard qui viennent d’ailleurs. Vous ne savez pas comment faire mais elle montre l’exemple. Déjà elle casse les discours. Si vous n’êtes pas un peu prévenu ou déjà entrainé, c’est dur. Elle est assise, et rien d’autre. Pour vous c’est difficile de vous asseoir sans téléphoner ou lire le journal. Mais vous êtes fascinés par la densité de son assise, remplie de rien, simple à l’extrême, verticale et présente. Ca y est vous êtes fichu! Bienheureux êtes vous d’avoir été harponné. On est toujours vulnérable par le coté qu’on ignore. Ainsi vous êtes pris parce qu’elle s’est assise à l’intérieur de vous.

A la maison tout le monde est énervé. On va commencer par aimer tout ce petit monde et être là, attentif, sans juger, sans violence. Je me suis assis aussi et me suis invité à être présent à ma vie qu’est cette respiration, ce mouvement qui me parcourt. Je ne me suis pas grondé quand je me suis aperçu que j’étais parti sermonner Trump ou choisir ma prochaine voiture, je suis juste revenu avec persévérance aux sensations de ma maison, là où c’est vrai, sans chimères. Cela a duré longtemps.

Quand on a été tous un peu plus là, on a poursuivi cette présence attentive au ressenti des bras, des jambes, de l’ensemble du corps par des changements de postures très lents, un petit voyage pour nous éduquer au réel. On a toujours terminé les séances par l’assise silencieuse, tous revenus ensemble chez nous, un peu plus près de chez nous, étrangement, un peu plus près de chacun.

La beauté de la nature qui m’environnait, la nourriture abondante et goûteuse, le confort simple, les chercheurs sans artifices qui m’entouraient, et au centre l’invitation de Nathalie à la persévérance, l’observation neutre, la délicatesse et le respect envers soi-même, l’honnêteté, et par dessus tout son exemple, grâce à tout cela j’ai goûté à certains moments, assis, les yeux ouverts, une sorte d’accord parfait : il n’y avait plus l’agitation et la guerre, juste pas grand chose, presque rien, mais j’y étais. Cela m’a donné la force de ne pas jouer trop, de ne pas me défendre trop, me protéger trop, dans les moments de rencontres. C’est dans cette présence là que je peux le mieux observer et accueillir sans m’enfuir, les attitudes, les plis, les crispations de mon monde ordinaire.

Quand on entrouvre la porte de chez soi après une errance d’enfer on a des larmes qui montent parce qu’on a eu trop peur, qu’on s’est fait trop mal et qu’on a encore peur. On remercie parce qu’on est ému par les passeurs sauveteurs, et encore plus facilement quand ce sont des sauveteuses.

Je dédie ce stage au frémissant ancêtre Sushan Kuangren, dont les deux vers me servent de mantra 1

Il existe au monde un arbre sans racines,
Telle une feuille morte, que le vent m’y ramène.

1. 10 e siècle

Alain - Stage dans la Drôme, mai 2017