Eveillé. Et alors? | Juillet 2022

L’éveil, c’est l’arrêt de l’espoir. Lorsque nous n’espérons plus, nous entrons en intimité avec l’instant, tel qu’il se présente. Le mental s’étiole, il perd le pouvoir de nous enfermer dans ses histoires, son monde. Nous pouvons alors reconnaître ce que nous sommes, en dehors de toute image, de toute histoire. La vision duelle s’éteint et nous réalisons l’unité du Réel. Un énorme poids tombe de nos épaules, comme si nous déposions un sac à dos démesuré : Il n’y a jamais eu d’entités séparées, à part dans nos pensées !
Une fois éveillés à cette vérité, nous restons un être humain pleinement engagé dans l’aventure de la vie, tout en cultivant une intimité toujours plus profonde avec l’entièreté de la réalité.

L’éveil, c’est maintenant !
À chaque instant, la vie nous met au défi de rester immergés dans l’Unité. Face à la maladie, la mort, la violence, la bêtise, le chaos, les catastrophes, les tendances du mental peuvent ressurgir et notre clarté se brouiller. Le basculement dans la vision duelle se fait en une fraction de seconde car cette habitude est fortement engrammée dans notre psychisme. Aussi, il nous faut cultiver une vigilance aigüe pour ne pas retomber dans le cauchemar du deux.

Il est essentiel que l’éveil se renouvelle avec les aléas de la vie afin que jamais il ne se fige dans une attitude ou une certitude. Il ne s’agit en aucun cas de s’installer sur un petit nuage doré, loin des soucis du monde sous prétexte que rien n’existe. Ce serait bien mal comprendre ce qu’est l’Unité.

Lorsque la vie devient brutale, pouvons-nous continuer à ressentir la paix et la joie de notre vraie nature ? Et si nous sommes troublés, pouvons-nous regarder avec honnêteté et lucidité ce qui est à l’œuvre en nous et ne pas nier notre trouble ? Les imprévus, qui nous déstabilisent et nous font douter, révèlent une peur profonde que nous n’avons pas suffisamment visitée, interrogée. À l’origine de la peur se trouve toujours le sentiment que quelque chose ne va pas et que ce problème met en danger notre cohérence psychique, notre équilibre. Nous refusons de voir la réalité car elle bouscule des croyances fondamentales auxquelles nous sommes encore attachés. Nous oublions alors la Lumière essentielle à l’origine de toutes les actions et de tous les événements.

Les épreuves de la vie viennent tester la profondeur de notre réalisation. Face à l’adversité, nous ne pouvons pas nous contenter d’une réalisation purement intellectuelle. Elle doit descendre dans notre cœur, s’incruster dans notre substance jusqu’à devenir une vérité incarnée.

Chaque jour l’éveil devient plus pénétrant jusqu’à ce que plus aucune forme ne nous retienne à la surface du réel, que plus aucune apparence ne voile l’Essentiel. Le sentiment d’être quelqu’un de séparé se dissout toujours plus complètement dans l’Être infini à l’origine du manifesté. Chaque instant nous fait naître, nous éveille à l’Essence du réel. Le besoin d’objectiver notre vécu pour entretenir une entité individuelle ne s’active plus. Notre petit soi éteint dans le grand Soi, nous voilà libre des tendances du mental. Nous pouvons nous laisser aller au gré des évènements dans une détente toujours plus absolue.

Mourir à chaque instant
Instant après instant, nous cultivons l’abandon. Nous voyons sur le vif, les croyances profondément incrustées dans notre psychisme monter à la surface et opacifier la clarté de notre esprit. Immédiatement vue, sans jugement ni réaction, elles se dissolvent. L’esprit à nouveau libre des formations du mental retrouve sa nature d’espace.
La dissolution de toutes les tendances du mental prend du temps, notamment la tendance à s’approprier ce que l’on perçoit. Ce mouvement de saisie vient de la peur de mourir, de n’être rien. Tous les mouvements d’appropriation, dont le refus fait partie, nous ramènent dans le cadre connu de notre individualité. En s’éveillant du rêve de l’entité séparée, on réalise que rien ne peut nous appartenir, puisque tout est en nous.

La vie, tel un maître implacable, assouplit l’habitude de se retirer dans le cadre étroit et connu de la personnalité. Elle nous pousse à lâcher nos attachements, nos addictions, nos sécurités. Elle nous invite à nous immerger toujours plus complètement dans sa Source lumineuse jusqu’à nous oublier en Elle.
Chaque instant, nous mourrons à l’idée que nous avons de nous-mêmes, jusqu’à ne plus avoir conscience de notre petit soi. Entiers dans le moment, fondus dans sa substance, le besoin de se créer en tant qu’entité autonome ne s’active plus.

Instant après instant, on laisse notre limite mourir pour naître à notre nature illimitée.

Méditation naturelle
Lorsque le regard n’est plus sous l’emprise du mental, l’attention s’élargit, s’intensifie et s’éveille. Nous voyons alors l’être des choses, la lumière qui émane de toute forme de vie. Émerveillés par la créativité infinie du Réel, nous devenons curieux et intéressés par toutes les manières dont il s’exprime. Devant la beauté subtile et indescriptible qui transparaît à travers chacune de ses expressions, le jugement s’éteint. Impossible de juger lorsque l’on voit la lumière de l’Absolu scintiller dans chaque visage, chaque grain de poussière.

L’attention devient notre pratique quotidienne, une méditation informelle toujours présente dans n’importe quel contexte. Nous laissons le réel résonner toujours plus profond en nous. Nous cultivons une intimité de plus en plus audacieuse avec l’instant.

Par la contemplation et l’oubli toujours plus complet de notre petit soi, nous goûtons le nectar de l’Unité, nous le laissons dissoudre les dernières barrières de notre cœur. Les situations difficiles nous permettent d’ouvrir toujours plus grand notre cœur. Elles érodent toute forme de résistance jusqu’à ce que plus aucune forme de refus ne nous voile l’Absolu. Nos yeux sensibles, éveillés, ne s’arrêtent pas à la surface du réel, ils plongent au cœur des apparences à la rencontre de l’Essentiel.

Simplification de soi
L’éveil exige une nudité et une pauvreté toujours plus radicales. Nous sommes filles et fils de l’instant, comme disent les soufis. Nous ne savons rien, nous ne possédons rien. Nous écoutons, nous voyons avec une totale innocence, fraîcheur, sans plus se préoccuper de nous-mêmes. Le futur n’existe plus, le passé ne nous hante plus. On se laisse devenir simples, transparents afin que nos limites recouvrent le moins possible la pure sagesse qui siège en notre cœur.

Nos yeux grands ouverts, nous voyons l’Absolu présent dans chaque atome. L’illusion du moi est flagrante, la vérité du Soi rayonne. Cette vérité infuse chaque parcelle de notre être. Celui qui se croit trop vite arrivé et s’installe dans sa réalisation prend le risque de s’enliser dans une impasse. Si son désir n’est pas suffisamment brûlant, il se contente d’une réalisation qui n’est pas descendue dans sa chair, qui n’a pas calciné toute trace d’orgueil. L’illusion continue à obscurcir sa clarté intérieure. Cette illusion plus subtile est plus difficile à déceler et peut irrémédiablement bloquer le processus d’éveil au grand Réel.

L’éveil authentique et intégré ne laisse que la suprême Réalité et le sentiment d’être à la fois rien et tout, sans que ce constat puisse se figer en une quelconque position de pouvoir, d’achèvement ou de réussite.
Devant la beauté indescriptible du Suprême, seul l’amour subsiste.
Finalement, il semblerait que ce soit l’unique raison de notre incarnation : faire fructifier l’Amour qui sommeille en nous. Développer notre capacité à aimer jusqu’à ce que plus aucun mouvement de protection ne restreigne l’Amour, jusqu’à ce qu’il devienne notre sang, notre chair, notre souffle.

Article paru dans la revue Inzicht (Hollande), juillet 2022